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Rud'Est Unity

Webzine dédié aux SUBCULTURES de l'Est de la France ... et d'ailleurs!

DANIEL SCHWEIZER (Skinhead Attitude)

Publié le 16 Mars 2014 par Rud'Est Unity in Interviews - Biographies

DANIEL SCHWEIZER (Skinhead Attitude)

C'est l'histoire d'une culture marginale et méconnue. Ou comment battre en brèche certains préjugés qui frappent le mouvement skinhead dans l'esprit du grand public: les «crânes rasés», tous des fachos? Le film du Genevois Daniel Schweizer remonte aux origines prolétariennes et multiethniques du mouvement, dans l'Angleterre des années 60. Construit comme un road-movie initiatique, Skinhead Attitude suit Karole, une jeune skin française «traditionnelle», aux quatre coins de l'Europe et aux Etats-Unis. Au fil des rencontres, à travers une série de portraits, se dessine, sans complaisance, une carte mondiale du phénomène skin dans sa diversité douloureuse: entre antiracistes anarchisants d'une part, et militants pour la suprématie blanche de l'autre. Rencontre avec un réalisateur obstiné qui signe, après Skin or die (1998), le second volet d'une trilogie indispensable pour comprendre la subculture skin...

Le Courrier: Pourquoi consacrer trois films au mouvement skinhead?

Daniel Schweizer: C'est un enchaînement, chaque film ayant appelé le suivant. C'est l'impact de Skin or die qui a imposé Skinhead Attitude. En particulier les réactions des skins traditionnels, qui ne s'y retrouvaient pas. Effectivement, aucun film n'avait jamais été consacré aux origines prolétariennes et pluriethniques du mouvement skinhead; l'histoire des «rude boys», du ska et de l'influence jamaïcaine restait à raconter. Quant au troisième et dernier volet, que j'entame bientôt et qui bouclera définitivement cette trilogie, il concerne la nébuleuse d'extrême-droite, les liens inquiétants mis à jour au fil de mon enquête entre les militants du white power américains (qui ont repris le flambeau du combat raciste à la fin des années 80) et certains pays européens, la Scandinavie et la Russie surtout, qui sont en train de devenir des sanctuaires pour les extrémistes.

DANIEL SCHWEIZER (Skinhead Attitude)

Comment pénètre-t-on de tels milieux?

D'abord, je suis pas un journaliste, mes articles ne paraissent pas dans la presse le lendemain. Je me présente comme un cinéaste suisse qui souhaite raconter une histoire, en prenant le temps de comprendre. Quitte à passer du temps à «apprivoiser» mes interlocuteurs. Ça ne marche pas toujours, mais ce n'est pas grave car je ne cherche pas quelque chose de prédéfini, je ne cours pas après le sensationnel et je n'achète pas des témoignages ou des images choc. Pas question de monnayer le tabassage d'un Noir, comme le font certaines télés commerciales soumises à la pression de l'audimat. Les images de ratonnade de mon film sont des archives, obtenues au terme de longues heures de visionnage.

Avant de montrer le revers de la médaille, votre film présente les skinheads antiracistes et antifascistes en suivant le parcours de Karole. Comment s'est-elle prêtée au jeu?

DANIEL SCHWEIZER (Skinhead Attitude)

Karole est arrivée sur le tard. Au départ, je devais suivre un groupe de ska français sur la route, car mon film porte avant tout sur une subculture où la musique est prédominante. Mais les membres du groupe voulaient esquiver certains thèmes politiques. C'est là qu'on m'a parlé de Karole, une ancienne punk de 22 ans, une skin traditionnelle qui revenait justement des USA et disposait de tout son temps. La personne idéale pour nous guider. Elle nous a ouvert des portes; elle a abordé tous les thèmes sans tabous, y compris la violence, les ambiguïtés de certains skins, jusqu'au machisme inhérent à tout microcosme typiquement masculin. Au final, je crois qu'on obtient un tableau assez juste du mouvement et que mon film comble un vide.

Ce qu'on retient du film, outre les témoignages inédits de skins jamaïcains et de prolos anglais pacifiques, c'est tout de même, à l'opposé du spectre, la violence et la détermination extrêmes des racistes de Scandinavie et des Etats-Unis.

C'est en effet inquiétant. En Suède et au Danemark, le mélange entre une grande liberté d'expression et un déficit d'examen de conscience quant aux collusions avec le Troisième Reich (pendant la Seconde Guerre mondiale), facilite la prolifération d'un discours néonazi. Quant aux Etats-Unis, l'extrémisme a comme terreau le culte de la violence, un vieux fond raciste et la sensibilité aux discours apocalyptiques. Cette convergence de vues rassemble des skins, des milices paramilitaires comme celle du Montana, des sectes fondamentalistes chrétiennes, etc. Le mouvement «Blood & Honour» et des idéologues comme Tom Metzger, de la «White Aryan Resistance», préparent la guerre raciale sous couvert de «cellules fantômes» et entretiennent des liens de plus en plus étroits avec le Nord et l'Est de l'Europe. Cela, on ne le dit pas assez.(...)

La dimension «engagée» de votre cinéma est-elle fondamentale à vos yeux?

Je reste un utopiste, qui croit en la valeur des idées et à l'emprise de la culture sur la société. Actuellement, si je m'intéresse aux skins plutôt qu'à l'UDC, c'est parce que la télévision est en principe là pour faire son travail sur des phénomènes visibles. Moi, je travaille sur les cultures marginales. Avec Skinhead Attitude, j'ai voulu rétablir certaines vérités sur les origines et la diversité de ce mouvement. Récolter des témoignages inédits signifie mettre en lumière des dysfonctionnements, révéler des souffrances non-exprimées. L'intérêt montré par les profs, les débats publics que suscitent mes films, prouvent qu'on a de la peine à aborder certains problèmes. Tant mieux si je peux faciliter les choses.

DANIEL SCHWEIZER (Skinhead Attitude)

Interview tiré du journal "LE COURRIER", paru le 26 novembre 2003.

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