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Rud'Est Unity

Webzine dédié aux SUBCULTURES de l'Est de la France ... et d'ailleurs!

CASUALS

Publié le 7 Mars 2014 par Rud'Est Unity in Interviews - Biographies

CASUALS

En Janvier 2012, le magazine "SPRAY" sortait un papier sur la sous-culture CASUAL. Dix pages consacrées aux hooligans, aux bastons, aux fêtes et bien sûr... au football. De Skinheads, Bovver Boys à Bootboys, en passant par les Smoothies et le Revival Mods de 1979, pour ensuite en arriver au look Casuals... voici la fabuleuse épopée raconté par deux personnes emblématiques du mouvement en la personne de Phil THORNTON de Liverpool, supporter et journaliste auquel on doit entre autre le livre "CASUALS: The Story Of A Terrace Cult", et de l'autre, Cass PENNANT de West Ham, une légende des stades reconvertie en consultant média et qui inspire le cinéma. Interview croisé...

Quand as-tu commencé à aller aux matchs?

Cass: A 8 ans, un voisin m'avait emmené au Boleyn Ground à Upton Park pour voir West Ham United en 1966, juste après la victoire de l'Angleterre en Coupe du Monde, avec Geoff Hurst, Martin Peters et Bobby Moore.

CASUALS

Phil: Mon père était un gros fan de Liverpool et a commencé à m'emmener à Anfield quand j'avais 6 ans, vers 1971. A cette époque, Liverpool était une ville très pauvre, ça l'est toujours d'ailleurs, mais Anfield était un endroit assez impressionnant pour un gamin. Le kop était à son apogée et les voir arriver en chantant 'You'll never walk alone' depuis Anfield Road est une chose toujours ancrée dans ma mémoire. Je me rappelle de l'odeur autant que du son, le vinaigre des friteries, le crottin de cheval de la police montée, les oignons des vendeurs de hot-dog, la bière des pubs et surtout, la pisse des 20 000 bonhommes entassés dans le kop. Même si j'étais petit et qu'à chaque fois que Liverpool marquait tu pouvais te retrouver à 15 mètres de ton siège, je ne me suis jamais senti en danger et n'ai jamais vu de blessé grave non plus. Il y avait beaucoup de violence dans l'enceinte des stades à cette époque. Je me rappelle d'un match où des fans de Chelsea derrière nous, dans la tribune principale, jetaient toutes sortes de trucs vers le kop. Ensuite mon père, partant précipitamment, leur courant après dans les couloirs, tandis qu'eux suppliaient les stewards de ne pas les jeter dehors, parce que sur le parking, une meute de 1000 scousers les attendaient pour les lyncher. C'était l'âge d'or du vieux mouvement 'bootboy', qui est arrivé après les skinheads et les suedeheads de la fin des années 60 et du début des années 70. Il y eut un revival skinhead à la fin des 70's, parallèlement au punk. J'ai arrêté d'aller à Anfield vers 1975 quand mon père s'est fait voler sa caisse. Je me suis plus branché sur la musique, plus spécialement le punk de ces années là et le football est devenu moins important. J'allais quand même voir des matchs de temps en temps, et je suivais aussi le club local (en 'non-league'), 'The Linnets' du Runcorn AFC, qui étaient dans la vieille 'Northern Premier league', la division n°1 dans la compétition. Runcorn l'a remporté en 1976 mais n'ont pas atteint la 4ème division parce que leur stade n'était pas assez grand. Wimbledon remportait la 'Southern Premier league' la même année, fut promu dans la division au dessus et battut Liverpool en finale de la Coupe d'Angleterre (FA Cup) alors que Runcorn dégringola et finit par vendre son stade à des agents immobiliers. Les pires violences auxquelles j'ai assisté ont eu lieu pendant les matchs de Runcorn, pires que dans les grands clubs parce que la présence policière y était faible et les stewards n'étaient en fait que des grand-pères.

Tu as remarqué le look 'casual' dès qu'il a débarqué?

CASUALS

Cass: La première fois, c'est quand j'ai vu les jeunes de Liverpool et d'Everton vers 1979, ils aimaient porter des Adidas Samba avec des jeans Lois coupe droite et des coupe-vent Adidas, mais c'est surtout leurs cheveux qui m'ont scotché, une coupe efféminée qu'on allait appeler plus tard 'flick' ou 'wedge haircut'. Je voyais ça comme un look de gringalet, pas aussi stylé que le Soul Boy ou les mecs sapés comme Brian Ferry qui peuplaient la rude et menaçante West Ham firm.
Le terme 'casual' n'est pas le nom que les mecs appartenant à des firms se donnaient. Il est devenu populaire grâce aux jeunes membres de la ICF (Inner City Firm de West Ham), appelés les 'Under 5s' à cause de leur âge. C'est cette jeune garde qui a commencé à ajouter un peu de couleur à cette tendance et à lui donner un look londonien distinctif. Le look sportswear, mélange de marques de tennis, de ski et de golf, a remplacé le look 'psiv' londonien composé de sape Gabicci, Pierre Cardin et de pantalons Farah. Dans les tribunes, les gars de l'East End ressemblaient toujours à une armée, polos Fred Perry, Bombers MA1, jeans Lois et t-shirts Lonsdale, et donc les petits nouveaux de l'ICF faisaient vraiment look à part. En 1980, on a joué contre Everton en demi-finale de la FA Cup et tous les gars entre 15 et 20 ans qui se trouvaient là représentaient la symbiose de ce que l'on allait plus tard dénommer le 'mouvement casual'.

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Phil: Le style casual a vraiment commencé à grimper après le revival mod de 1979. Je ne dis pas qu'il n'y avait pas de 'scallies' à droite à gauche puisque des gamins branchés musique électronique se sapaient déjà comme ça mais le revival mod était massif. Je me rappelle qu'on faisait les magasins dans le centre de Liverpool, autour de Button Street, et même en 1980 il y avait toujours un gros mélange de punks, skins, mods et de rockabillies. Le 'look scally' est devenu gros vers 1980/81 et semblait plutôt correspondre à l'electro et la synth-pop de groupes comme OMD, Human League, Kraftwerk. C'est vraiment comme ça que je l'ai vécu. Je vivais dans un bled à 20km de Liverpool, qui était scindée par la vieille ville, plutôt liée à Manchester de par son accent et la nouvelle ville, habitée par d'anciens liverpudliens ayant migré dans les années 60 et 70. Il y avait beaucoup d'hostilité entre les deux communautés et c'est là que j'ai commencé à suivre Manchester United parce que je me fritais tous les soirs avec des 'scousers' et ça ne me semblait pas très cohérent de supporter Liverpool. Ceci dit, il y avait plein de fans de Liverpool et d'Everton dans notre gang. Quelques uns de nos gars ont commencé à s'habiller 'smooth' (comme on disait en 1980) et c'était un peu considéré comme une trahison au début. La plupart des gars de notre bandes étaient skins, et les 'smoothies' étaient l'affaire des 'scousers' seulement. A cette période seuls les 'scousers' se fringuaient comme ça, jusqu'à ce match amical de pré-saison où 200 mecs de Wigan se sont pointés en vêtements 'scally'. Quand nous sommes allés voir les matchs de Manchester United on s'est aussi aperçu que les 'mancs' étaient sapés pareil et quelques mois plus tard, de fin 79 à l'été 80, le virus s'était répandu dans tout le nord ouest. A cette époque, je n'avais pas encore suivi le mouvement, j'étais encore dans le punk et la oi! puis ensuite dans le rockabilly, la 'northern soul' et le funk, mais quand j'ai quitté l'école en 1982, je me suis converti. Pour mes 17 ans, je me rappelle avoir acheté une parka israélienne 'Dubon' et une paire d'Adidas Tenerife. Ca m'a tenu pendant un moment. En fait, je me rappelle avoir porté ces vêtements lors d'un voyage scolaire à Paris début 1983, et j'ai été alors surpris de voir que les Parisiens s'habillaient comme s'ils étaient dans un photoshoot pour The Face.

Est-ce que la violence constituait le principal buzz dès le début ?

Cass: La violence était un point central de nos années foot parce que le hooligan moderne était originellement skinhead, celui qui a émergé en 1967 et a semé sa réputation de sous-culture violente à travers tout le pays à partir de 1969. Le terme 'Spirit of 69' est une référence à ça. Mais c'est vrai aussi que la majorité des gars dans les années 70 et 80 étaient juste des supporters et suivaient leurs potes dans les tribunes, dans une atmosphère où la violence footballistique était devenue la norme.

Phil: Je crois pas que la violence était le but principal mais les deux choses allaient main dans la main. Chaque équipe avait sa propre bande, chaque ville avait sa bande, la violence est endémique dans la culture britannique parce que nous sommes très protecteurs de nos territoires, et vu qu'il y a vraiment beaucoup de villes plus ou moins grandes, il y a de la rivalité partout. En plus, la Grande-Bretagne est un endroit relativement petit comparé à la France ou à l'Espagne, chaque club n'a besoin de faire que quelques kilomètres pour se retrouver face à une bande rivale. Où je vis, il n'y a qu'un kilomètre entre Runcorn sur la rive sud du Mersey et Widnes de l'autre côté du fleuve, mais chaque ville a son propre accent, sa propre culture. Ils jouent au rugby par exemple, et évidemment il y a toujours des rivalités entre les deux villes. Je me rappelle avoir pris plusieurs fois des coups par là-bas. Si tu te penches sur les bandes de cette époque, celles de la première moitiés des 80's, elles étaient quasi entièrement composées de types de 18-25 ans, on devait donc se serrer les coudes car tu savais qu'une autre bande t'attendrait au tournant. Je crois que les 'mobs' les plus importantes étaient Liverpool et Everton, Man United, Leeds, Chelsea, West Ham. Ils étaient nombreux et avaient des réputations, mais la plupart des clubs pouvaient rassembler d'honorables 'firms' comme à Boro, Birmingham, Villa, Spurs, Arsenal. Millwall ont toujours été craint mais comme ils jouaient rarement en première division tu ne les rencontrais jamais. Ils sont montés en 1988 et c'était marrant de les voir tous là durant cette saison, ainsi que pour la coupe. West Ham a vraiment lancé la tendance pour les petits groupes de supporters en vadrouille, plutôt que de voyager en masse aux matchs et se faire capter dès l'arrivée, ils ont commencé à se débrouiller autrement et à occuper les tribunes principales plutôt que les gradins. C'était du jamais vu, ces tribunes étaient vues comme le refuge de ceux qui ne pouvaient en découdre dans les gradins, la classe supérieure ou les lâches.

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C'était quoi vos critères pour porter telle marque et éviter telles autres?

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Cass: Le critère de l'uniforme casual ? Un, tu devais avoir une certaine attitude, qui te démarquait de la masse, et deux, tu devais aller aux matchs. C'était instantanément reconnaissable du fait que toutes les autres sous-cultures, que ce soit dans la rue, dans un club, un pub ou à un concert, savaient qu'elles venaient de croiser un 'football lad', et c'est quelque chose que certains considéraient tout de suite comme un danger imminent.
Les modes chez les casuals changeaient vite, avec un look différent pour chaque saison. Donc le bon look variait selon les régions et les firms, mais peu importe le groupe dans lequel tu te trouvais, le plus important était d'éviter le ridicule et donc la plupart savait ce qu'il ne fallait pas mettre. Même si la marque était bonne, le style se devait d'être bon aussi, les jeans devaient être bien droits, pas baggy ou pattes d'eph. Il y a eu une période où les cockneys londoniens éventraient le bas de leurs jeans Lois pour mettre leurs baskets en valeur, ce qui signifiait que tes pieds attiraient toute l'attention, et que tu devais donc avoir les meilleures pompes. Les Adidas Forest Hills, Stan Smith ou les Nike Wimbledon étaient OK mais les Diadora Borg Elite (Gold) les surpassaient toutes. Ce truc du jean ouvert a tout de suite été banni des tribunes le jour où le marché Indien et Asiatique a commencé à manufacturer ce genre de pantalons. Personne ne voulait les acheter et ils ont tout de suite perdu leur cool. Les autres trucs qui ne se faisaient pas étaient les contre-façons. Tu savais quand le logo ou la marque était fausse, et c'était amusant de voir les gens nier qu'ils avaient des fringues fake alors que d'autres leur montraient d'où venait vraiment leur sape, étiquette du col à l'appui. Ils vérifiaient aussi les boutons et les zips pour voir si le nom de la marque était bien gravé dessus. Ce n'était pas juste une histoire de marque mais surtout de style, il fallait mélanger, assortir, avoir des idées pour rester original. Porter un survêtement Lacoste complet était aussi naze que les pantalons à carreaux Burberry quand le Burberry est devenu à la mode. C'était pas bon de frimer parce que tu portais les bonnes marques, il fallait être subtile dans tes choix et dans ta manière de porter. Il faut se rappeler que le casual a été amené à trouver un look qui le faisait passer inaperçu de la police et des stewards.

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Phil: Au début ce n'était pas vraiment une histoire de marques. Il y a un tas de looks qui sont arrivés puis repartis en quelques mois, le style baseball, les maillots de football américain, les joggings, les fringues de tennis. Adidas a toujours été le principal fournisseur de chaussures mais il y avait aussi Pods, Kickers, Keos aussi, les blousons en velours, les vestes de chasse, les gants en cuir, les vestes en mouton, les doudounes, tout un tas de trucs pas associé à des marques. Mais à partir de 81, quand Lacoste, Ellesse, Tacchini, Fila, Pringle et les pulls Lyle & Scott ont lancé ce look sportswear, le but a alors été de damer le pion aux autres en trouvant des marques plus rares comme Munsingwear et Braemar, Jaegar, etc. On était habitué à ce qu'on dégotait en Angleterre et personne ne vendait ces choses. Nos déplacements shopping à l'étalage dans les stations Alpines et en Allemagne sont alors devenus importants, surtout pour les fringues de ski et les Adidas. Les baskets étaient prisées et se démodaient tout le temps; Samba, Stan Smith, Forest Hills, Trimm Trab, Munchen et puis Nike s'est joint au lot en 82, et ensuite New Balance et Diadora, ce qui a cassé leur monopole. Il y a eu une scission vers 1984 quand les mancuniens se sont mis au 'scruff look' en réaction au sportswear. Les scousers, eux, se sont mis au velours et au tweed, aux vêtements de montagne, tandis que les Cockneys se sapaient plus tape à l'œil, chemises cachemire, pantalons Farah, Daks, Aquascutum et des marques anglaises classiques.

Tu sais que ce style vestimentaire (sportswear) en France, était populaire dans les banlieues et au sein du mouvement hip hop?

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Cass: Je n'étais pas au courant mais pour être honnête, dans les années 70 et 80, on ne remarquait pas de culture mode dans les tribunes françaises, ou plus généralement en Europe. Tu trouvais plutôt des gens sapés dans les boîtes de nuit mais pas de réel mouvement de mode. En France, ça se passait plutôt sur les podiums des défilés. On pouvait voir un échantillon de mode française lors des concerts où l'on se pointait à Londres. Les français qui étaient influencés par la musique britannique venaient vérifier à la source, à Londres et dans nos clubs de foot. A West Ham, nous avons un gros contingent de fans skinheads de Marseille, qui ont le soucis du détail, ils portent des Brogues, du Levi's, Ben Sherman, Fred Perry, des bombers, etc. Ils ont vu des groupes comme Cockney Rejects et Cock Sparrer jouer en France et ont appris que ces groupes supportaient West Ham, ils sont donc venus nous voir. Nous avons aussi des supporters de Belgique, qui viennent des clubs d'Anderlecht et de Brogue.
Le lien avec le hip hop est intéressant car c'était la même chose ici au début des 80's, quand les jeunes de la scène 'street beat' se sont mis à porter des doudounes sans manches et des vestes de survêtement pour fanfaronner dans le centre-ville et dans les clubs. C'est certain que des gars que j'ai interviewé dans mes livres ont dit ouvertement que c'est de là qu'ils ont tiré leur intérêt pour la mode et même la star du groupe Oasis, Liam Gallagher, a avoué que son influence vestimentaire quand il était gamin à Manchester venait du streetwear hip hop.
Le clip de Freez “I.O.U” sorti en 1983 sur Beggars Banquet met en scène un 'soul boy', qui fait du break dance, et démontre les similitudes avec le style des casuals, jeans ouverts en bas, Nike Legend, et diverses vestes de survêtement de marques 'casual'. C'est ce que confirme Riaz Khan, un casual asiatique du Baby Squad de Leicester, dans son interview pour le documentaire 'Casuals'.

Phil: Oui, il y a clairement un parallèle avec le hip hop mais crois-moi, personne ne savait ce qu'était le hip hop ou ce que les types de New York portaient en 79/80. On s'en est rendu compte quand la vidéo du Rocksteady Crew a commencé à tourner et à partir de là, il y a eu une séparation entre le look scally et le look hip hop. Les gamins noirs de Manchester se sapaient comme les kids blancs, même Breaking Glass, le crew de breakdance de Manchester portait des fringues estampillées scally quand ils ont commencé, avant de dériver vers un look hip hop plus classique en 83/84. C'est à cette époque que la mode hip hop s'est répandu internationalement et que le look casual/scally a été mis sur la touche et est resté limité à la Grande-Bretagne, avec peut-être quelques bandes en Hollande, Belgique et Allemagne qui l'ont vraiment compris. Le look 'Ultra' est plus similaire aux skinheads et même si des marques françaises et italiennes sont devenus importantes au milieu des années 80, on n'a jamais considérer les supporters français et italiens comme stylés. Les fans allemands et hollandais étaient aussi ridicules dans leur façon maladroite de copier à outrance les looks anglais. Même ici, Liverpool, Manchester et Londres aiment toujours ridiculiser les manières de s'habiller des autres villes anglaises.

Les casuals sont-ils morts avec les années 90?

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Cass: Le casual originel est loin depuis longtemps. Les scènes Rave et Acid House ont poussé beaucoup de gars de la vieille école dans le biz musical. L'ICF s'est lancé à fond dans le mouvement rave en hébergeant même sa propre radio pirate, Centre Force, puis plus tard en créant un label, etc. L'acid house est arrivée au bon moment, quand beaucoup de procès de hooligans, à titre d'exemples, ont impliqué des meneurs, avec pour réunir les preuves des méthodes policières de plus en plus discutables. A la suite du Rapport Taylor, La promulgation de nouvelles lois sévères, de bannissements et de sentences de prison ont fatigué les 'top boys'. Ils se sont alors mis à chercher l'adrénaline ailleurs, dans les raves, et ont pris la scène d'assaut.

Phil: Ce n'est pas mort, ça a juste muté. Il n'y a jamais vraiment eu un seul et unique uniforme, c'est pour ça que ça a duré si longtemps, plus de 30 ans, et que ça évolue encore. Le look acid house a débuté avec le style 'baggy' que les Happy Mondays portaient à la Hacienda, il allait à l'encontre du clubber plus habillé de l'époque et de la scène 'rare groove'. Quand le look hippy s'est mélangé à ça, c'est devenu un peu naze mais aucun des lads ne portait ce genre de trucs de toute façon. Moi je portais des jeans de charpentier, des chaussures de montagne, des chemises de grand-père et des vieux coupe-vents, pas du Stone Island mais du Berghaus ou du Peter Storm, qui étaient en fait les marques qu'on portait au début des années 80. Dans les clubs, les milieux balearic, acid jazz et garage ont tous convergé vers l'acid house et la rave, et c'est plus devenu une affaire de marques chics, Nick Coleman, Duffer, Burro, Koshino, jeans blancs et coupes au carré. Le look Britpop était, je suppose, un retour vers les styles casual classiques des 80's. Oasis avait ce look décontract' de Manchester quand ils ont commencé, sweats col rond, chemises à carreaux, Adidas Gazelle. Blur était une sorte de pastiche comique du casual cockney. C'est à partir de là que le look casual est redevenu populaire, avec une nouvelle génération de jeunes, fans de Liam Gallagher que, de notre côté, on voyait plutôt comme un connard.

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Comment as-tu perçu l'arrivée du “new lad” et la démocratisation du phénomène dans la presse?

Phil: Ca n'a pas été une démocratisation mais une réappropriation de la culture de la classe ouvrière par la classe moyenne. Si tu lis les articles de The End, le fanzine de Liverpool, ils se moquaient autant qu'ils glorifiaient les attitudes working class, alors que Loaded était un magazine de petits snobs universitaires qui sniffaient de la coke et se vautraient dans le sexisme. Ils prônaient un comportement sectaire contre lequel on s'est toujours battu. Le monde des médias anglais est un ghetto de la classe moyenne et c'était insultant de voir ces gosses de riches prétendre être ce qu'ils n'étaient pas parce qu'ils pouvaient toujours retrouver leur vie d'avant, tandis que ceux qui étaient réellement coincés dans les lotissements, les jobs de merde ou l'inactivité vivaient de cette manière pour échapper à la corvée de leurs vies de tous les jours.

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Certains voient les casuals comme des consommateurs lambda mais il y avait toute une autre dimension derrière tout ça, nan?

Phil: Ça m'énerve quand le casual est présenté comme un type de droite, matérialiste, alors qu'en fait il représente une esthétique, et non une scène musicale, politique ou culturelle. La seule chose qui unit les casuals ou les scallies ou quelque soit le nom qu'on nous donne est l'amour des beaux vêtements, et cela surpasse toute autre considération. Je connais des casuals d'extrême gauche et d'extrême droite, j'en connais qui ne parlent jamais de fringues, d'autres qui ne peuvent pas s'empêcher d'en parler. Le langage en est même transcendé, spécialement dans le nord-ouest de l'Angleterre où c'est comme une marque de naissance. Le mythe à propos duquel les casuals essayaient de se déguiser pour échapper à l'attention de la police est une blague. Ça a pu être une conséquence mais jamais une décision consciente. Pour ce qui est du consumérisme, et bien peut-être que certains le sont mais ça n'a jamais simplement été une histoire de marques inabordables, autrement les gars se trimbaleraient en Versace mais ils ne le font pas. Aucun des looks ne sont venus des modélistes ou de soi-disant gurus du style disant aux gens quoi porter, c'est entièrement enraciné dans l'esthétique de la working-class culture.

Il y a une sorte de résistance à la domination américaine aussi, l'usage de marques strictement européennes...

Phil: L'Amérique ne s'est jamais vraiment inscrite dans notre monde. Quand Ralph Lauren et Tommy Hilfiger ont commencé à débarquer dans les 80's et 90's, on s'est plus tenu au courant, mais personne ne regardait les ricains en se disant 'ils ont du style, copions-les'. Globalement, ce look hip hop a dominé à peu près tout durant ces 20 dernières années. Je remarque quand même des ressemblances avec certains groupes, les rappeurs 'conscients', Pharcyde, Dilated Peoples et même le Wu-Tang ont une approche similaire mais les choses ont évolué dans une isolation totale. J'attends de voir le premier rappeur en CP Company.

T'as déjà pensé à lâcher l'affaire?

Cass: Laisser tomber le trip casual? Je crois que de toutes les sous-cultures que j'ai expérimenté durant ma vie, celle-ci était la meilleure, et comme elle n'est pas basée sur la musique, tu peux toujours être un casual de cœur. Tu vieillis et ton propre style de vie te dicte des choix et des couleurs moins exotiques dans ce que tu portes, mais tu ne perdras jamais cet œil pour ce petit quelque chose de qualité, de stylé, de différent ou de nouveau.

Phil: Je vieillis et je crois que les 10 dernières années ont validé le but de mon livre; conter l'histoire du, peut-être, dernier mouvement de jeunesse britannique en le replaçant dans son contexte historique et culturel. Je suis content que les gens aient enfin reconnu que le casual n'est pas une chose révolue mais qui perdure encore après plus de 30 ans. J'ai l'impression que mon livre a joué un rôle et a permis aux réalisateurs de films et de documentaires de s'apercevoir qu'il y avait un marché et une demande pour tout ça. Il y a aussi une jeune génération qui s'est lassée de voir toujours les mêmes fringues et les mêmes options sous-culturelles, et qui peut maintenant s'identifier avec des anciens et nouveaux styles vestimentaires. Et bien sûr, il y a eu un énorme intérêt de pays étrangers qui n'ont peut-être jamais entendu parler du phénomène. Mon livre vient d'être traduit en russe et il y a définitivement eu un basculement du look Ultra vers le look Casual dans beaucoup de bandes sur le continent européen.

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Justement, ton livre est sorti au début des années 2000, tu sentais une vraie attente derrière?

Phil: J'ai écrit des articles pour The Face et pour des fanzines, j'ai aussi créé mes propres zines dans les années 90 et je me rappelle traîner sur le forum Hoolifan, quand internet a vraiment commencé à connecter les gens, et demander à Martin King quand est-ce qu'il allait faire un bouquin sur la mode chez les supporters plutôt que sur le hooliganisme. Puis je me suis dit, pourquoi je ne le fais pas moi-même? Je traînais aussi sur le site Terrace Retro, une passionnante mine d'infos sur les casuals qui m'a donné l'idée d'organiser un festival à Liverpool en 2002, 'Writing on the Wall', afin de revenir sur les livres hooligan. Nous ont rendu visite: Cass Pennant de West Ham, Martin King de Chelsea, Tony Rivers de Cardiff ainsi que Peter Walsh de Milo Books. Je lui ai fait une proposition quelques mois plus tard, c'était un risque pour lui, il n'avait sorti que des livres sur les hooligans jusqu'alors et personne ne parlait jamais vraiment de la scène casual. Moi j'étais convaincu qu'il y aurait un marché à la clé, résultat il s'en est écoulé plus de 35 000 copies depuis 2003.

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Qu'est ce qui a changé en 10 ans? Depuis les films de Nick Love, le documentaire 'Casuals', etc... On dirait que les 'scallies' sont de nouveau hip...

Phil: Je pense que les films de Nick Love ont eu un impact fort, les ventes de mon livre ont carrément augmenté quand The Firm est sorti. Les gens sont plus au courant du mouvement, et internet a eu un effet là-dessus. Il y a plus de magasins spécialisés et neo-casual; et des marques indépendantes, ça a donné une sorte d'uniforme qui est devenu un peu lassant. Je les surnomme les radoteurs du IIIème Reich.

C'est quoi un casual aujourd'hui? Ça veut encore dire quelque chose? Le 'Mod-casual' n'inspire pas grand chose...

Cass: Casual signifie toujours le gars du foot, celui qui foutait le bordel dans les tribunes pendant l'âge d'or du mouvement. Aujourd'hui, le terme n'est plus utilisé pour se référer aux types qui vont aux matchs à moins que leur firm porte ce nom, exemple: Aberdeen Casuals. Ca correspond à un certain look, et à une scène qui grouillait dans les années 80, le casual appartient donc à une période déterminée. C'est intéressant de voir qu'en Italie les autorités ont mené une guerre contre les ultras et que ceux-ci se passionnent pour les marques anglaises actuelles comme One True Saxon ou Peaceful Hooligan.
Mod casual est un terme pour décrire les gars qui ont la quarantaine, qui étaient mods et sont devenus casuals dans les 80's, et qui aujourd'hui mélangent les deux influences dans ce qu'ils portent. En filmant les casuals on a découvert une nouvelle culture, de jeunes de 17 ans environ, qui ont pris leurs influences après leurs parents. Le kid qu'on a interviewé à Brighton nous a dit que sa mère était une ex-mod et que son père était un football casual et que donc, il était 'casual mod', parce qu'il mélangeait les deux mondes en y ajoutant son propre grain de sel.

Phil: Personnellement, je ne me suis jamais surnommé casual, c'est un terme employé par les médias, mais je présume que c'est l'appellation qui est la plus familière et reconnaissable à propos de ce mouvement très subtile. Ce n'est pas comme les skins ou les punks avec un seul look qui est toujours resté le même. Mod casual c'est comme punk skin, les deux choses sont entièrement différentes – modules? - mais j'imagine qu'il y a un crossover possible, une importance du détail et de la texture. Pour moi, mod veut dire moderniste, et c'est en ça que les casuals étaient les vrais modernistes des années 80, et le sont toujours, pas un culte rétro qui regarde vers les années 60 pour trouver de l'inspiration.

CASUALS

On dirait que dans beaucoup de domaines culturels, l'heure est à la nostalgie vintage, et non à la recherche évolutive...

Cass: Avant de commencer à tourner Casual j'aurais été d'accord avec toi, c'est un fait. Le sous-titre original de mon film était 'La dernière sous-culture de la classe ouvrière'. Mais quand nous avons fait la rencontre de ces soit-disant casuals mods, j'ai remarqué une chose importante, ils expérimentaient, de ce qu'ils portaient à leurs coupes de cheveux, essayant des trucs nouveaux, plein de marques différentes et de styles qui n'étaient pas liés à la nostalgie mod ou aux casuals. Ensuite, tu te rends compte que beaucoup de jeunes se sapent de façon similaire dans d'autres coins du pays, les signes typiques d'un nouveau mouvement. Et ce que j'aime là-dedans, comme au début des casuals, c'est que les médias ne sont pas encore au courant.

CASUALS

Phil: Il y a un problèmes avec certains styles casual qui sont vieux de 30 ans maintenant, cette tentation de simplement les revisiter. Je pense surtout à la veste de survêt' BJ de Fila. Je peux aussi comptabiliser au moins 3 revivals où Lacoste s'est retrouvé démodé, au milieu des années 80, puis est revenu dans les années 90 et est resté plus ou moins un produit de base depuis. Adidas ressort ses designs classiques et fournit la demande de nostalgie du vintage du public, mais je crois que les 5 années qui viennent de s'écouler ont été l'occase de passer à autre chose.

Casuals United se retrouve affilié à l'English Defense League. Tu crois que l'extrême droite est un nouveau refuge pour les football casuals, comme l'acid house le fut à une autre époque?

CASUALS

Cass: Les supporters en Grande-Bretagne préfèrent généralement laisser la politique en dehors du foot, jamais aucun parti n'a tiré son pouvoir des tribunes. Il y a eu une courte période à la fin des années 70 où le British Movement Party et le National Front ont essayé de gagner de l'influence dans les stades mais tous ont échoué. Aujourd'hui il n'existe pas de refuge dans l'extrême droite pour les casuals mais il y a un choix personnel et une vision politique en dehors du football. Casuals Utd et l'EDL ne sont pas des partis politiques mais des groupes de protestation vaguement organisés et sont libres de voter pour n'importe quel parti. Notre Tory Party qui gouverne le Royaume-Uni a eu des revendications similaires en s'appuyant sur la droite par le passé. Il y a toujours une forte connexion loyaliste avec le noyau dur hooligan de beaucoup de clubs qui vient des 90's, mais encore une fois, il est actif en dehors du foot parce que la dépolitisation des tribunes représente toujours une règle invisible mais inviolable. Laisse la politique en dehors du stade.

Phil: Il y a un tas de gens qui méprennent la CP Mille Miglia et l'écharpe Aquascutum, la couverture de mon livre, et l'associent à des groupes extrémistes comme l'EDL, ils ont d'ailleurs utilisé la couverture dans leurs posts sur internet, ce que j'ai essayé de stopper. CP a toujours drainé des influences venant du vêtement militaire donc ça devait finir par parler à ce genre de personne. Personnellement, je suis très à gauche et je vois tout par le prisme de classe plutôt que par celui de nation. Le mouvement casual ici a toujours été multiracial et c'est assez désespérant de voir des gens comme l'EDL ou Casuals United adopter ce look comme un outil de recrutement. Cependant, il y a toujours eu un tas d'hooligans anglais qui s'identifient à des causes racistes même si celles-ci se déguisent en organisations anti-terroristes. J'aime à penser que j'ai plus en commun avec un ouvrier ou un employé français, allemand, turque, mexicain, japonais ou nigérien plutôt qu'avec un aristocrate anglais. L'élite a toujours joué la carte du diviser pour mieux régner en retournant la classe ouvrière contre les siens et ça marche à chaque fois. Maintenant que l'Europe est dans une merde noire financière, les extrémistes de droite tiennent les immigrés pour responsables de leurs problèmes au lieu de blâmer les banquiers et les aristocrates qui nous volent notre pays et notre argent depuis des siècles.

Si tu devais résumer l'épopée casual en 5 dates.

CASUALS

Cass:
1978/79: Les jeunes supporters de Liverpool et d'Everton introduisent un nouveau look. Mèche de côté, coupe-vent 'cagoule' Adidas, jean droit Lois et baskets Adidas. Stan Smith fait jeu blanc face à Dr Marten's.
1981: Finale de Wimbledon Bjorn Borg vs. John McEnroe. C'est Fila contre Sergio Tacchini. Les casuals s'en souviendront et le look tennis va déferler dans les tribunes.
1983: The Face donne le nom de 'casuals' à ces nouveaux sauvages. Le terme restera et sera repris par tout le monde.
1985: Le documentaire 'Hooligan' pris sur le vif présente la Inner City Firm de West Ham. Maintenant, chaque club du pays va se trouver un nom et se constituer un gang.
1985: La tragédie du Heysel en arrive à la conclusion qu'être casual n'est plus vraiment très cool. Le mouvement originel n'en a alors plus pour très longtemps.

Phil:
1979: Le premier look scally devient massif et infiltre les tribunes de Manchester et Liverpool.
1984: Les football lads de Liverpool, Manchester et Londres commencent à créer leurs propres looks.
1986: Chipie, Chevignon, Ciao et d'autres marques du même type prennent le dessus.
1995: Seconde vague des marques casual et seconde vague musicale.
2005: Les casuals se démarquent du classicisme pour se diriger vers de nouvelles marques casual ou indépendantes.

3 fav trainers?

Cass: Diadora Borg Elite, Pony Red Trainer, Nike Legend
Phil: Adidas VIP, Adidas Jeans, Adidas Gazelle

3 fav brands?

Cass: Fila, Burberry, Henri Lloyd
Phil: Massimo Osti at CP, Post O'Alls, 6876

3 fav movies?

Phil: 400 Blows, Mean Streets, Kes

3 fav music labels?

Cass: Motown, Trojan, Two-Tone.

Un dernier mot crucial?

Cass: Le culte jeune le plus sous-documenté et oublié de tous les temps fut quand des gosses de la classe ouvrière liés au hooliganisme se sont mis à désirer des vêtements qui étaient délibérément commercialisés à une classe sociale différente. C'est cette époque du football casual qui a apporté une grande révolution dans la mode masculine et qui a donné le ton dans le business prospérant des vêtements de marques d'aujourd'hui. Il continue d'évoluer et tu peux toujours voir l'influence de son héritage lorsque tu jettes un œil aux marques représentées au salon professionnel Stitch Menswear ou dans tous les stades d'Europe. Demande à quiconque aujourd'hui ce qu'est un casual et il mentionnera des noms de marques qui sont les choix des gars qui vont au match.

Phil: Ce n'est pas ce que tu portes, c'est comment tu le portes!
Mes projets: j'édite un webzine, Swine, que je fais depuis 6 ans maintenant – regarde lasection archive, tu y trouveras une centaines d'articles sur la mode, la musique, le foot...
Par ailleurs, je travaille sur un programme de lutte contre la drogue à Liverpool, on publie des livres, réalise des films, etc – ça se passe ici: www.spiderproject.org

CASUALS

(interview de Spray Magazine et Fluoglacial)

(préface et mise en page de Rud'Est Unity)

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